Critique

Jérôme Zonder, du côté obscur

 

Jusqu’au 10 mai prochain, la Maison rouge présente une exposition monographique de Jérôme Zonder, Fatum.

Une exposition centrée uniquement sur le dessin. Un dessin classique sur papier et encadré mais se déployant aussi sur le sol, les murs et dans l’architecture de l’espace d’exposition. L’exposition présente une unité et une cohérence forte, dans le choix radical du noir et blanc et dans le propos développé. L’exposition est conçue comme un environnement. Nous rentrons dans un univers fait de dessins. Une forêt, des enfants, des adultes défigurés, des insectes, des visages encore.

imageVue exposition FATUM

De quoi nous parle Jérôme Zonder ? Car clairement, il parle de quelque chose de grave. Il va au cœur sans détour. Il n’y a pas l’ombre d’une anecdote.Il nous parle de cruauté, de méchanceté, de quelque chose de brisé, d’une rupture. Il nous parle du mal.

Avant de développer ma réflexion, j’aimerais mettre l’accent sur la technique de Jérôme Zonder. Elle est hyper présente. On ne peut détacher l’image de la technique. En imposant le respect, elle va conduire le spectateur à être très attentif au propos de l’exposition. Mais d’un autre côté, elle prends aussi le pas sur le sujet et devient le sujet de l’exposition. On le voit en visitant l’exposition, le visiteur s’approche irrésistiblement du dessin pour essayer de comprendre la technique qu’a utilisé Zonder.

Le spectateur est époustouflé par la technique. Des dessins d’une taille impressionnante aux plus petits d’entres eux, c’est à chaque fois parfait. Il repousse sans cesse les limites du dessin. Le travail est beau et monstrueux à la fois. Des monstres, c’est ce que l’on voit dans les galeries de la Maison rouge.

jerome-zonder_les-fruits-de-mccarthy-1_2013_mine-de-plomb-et-fusain-sur-papier_24-x-32-cm_-courtesy-galerie-eva-hober

L’homme contemporain que nous sommes pense – enfin, cela est admis – que la Shoah a marqué une rupture dans l’histoire de l’humanité. Comme si, avec la Shoah, l’homme avait atteint un point de non retour. Comme si depuis le début de l’humanité, l’être humain s’était dirigé inexorablement vers ce point. Pensons-nous cela aujourd’hui car nous vivons dans une société en paix qui garantit un niveau de sécurité élevé. Qu’en penseraient les gens vivant aujourd’hui la guerre, l’oppression, la terreur ?

L’homme a-t-il toujours eu en lui cette barbarie, cette pulsion de mort ? Est-ce une constante, le résultat d’une évolution ou des accidents de l’histoire ?

fatum-jec2a6c3bcroc2a6c3a9me-zonder-la-maison-rouge-19_02-au-10_05_2015-vue-dexpo-hd-20Vue exposition FATUM / © Marc Domage

Je crois que c’est de cela que parle Jérôme Zonder à travers son œuvre. En se référant aux génocides de notre siècle (la Shoah, le génocide des Tutsis au Rwanda), il parle de cette part létale de l’homme. Et celle-ci nous parait anormale quand nous regardons ces dessins, mais n’est-elle pas en nous toujours comme un potentiel en devenir.

Zonder s’intéresse donc à cette part sombre de l’humanité. ? À celle-ci devrait correspondre une part lumineuse qu’il élude. Sauf peut être dans les “dessins cellulaires”, où la lumière devient une évidence. Surtout après avoir traversé un long couloir d’une obscurité totale.

“La shoah, Hiroshima, le Rwanda…ces trois événements interrogent le moment limite que nous avons atteint dans l’histoire du corps de l’homme, et qui constitue le nœud de mon travail. Ce n’est pas sans effet sur l’histoire des représentations car, après la destruction totale, l’homme a littéralement perdu la face. En réaction à la chambre à gaz et à la bombe atomique, la solution première a été celle de l’évitement. La douleur était telle qu’il n’était pas possible de restituer l’horreur, encore moins de se mesurer à elle physiquement. Comment après la sidération de “l’inimaginable”, représenter le visage?”

Cette question est omniprésente dans l’œuvre de Zonder. Et j’en viens à la figure qu’il semble affectionner, celle de l’enfant. L’enfant occupe une place particulière dans l’imagerie de Zonder. Soit il semble posé d’une manière sage mais tout de même inquiétante, soit il semble perdu dans un décor de conte. Ces contes horribles pour les enfants, avec une cabane dans la forêt et dans lesquels, ils sont les proies de monstres ignobles. Enfin, c’est ce qu’on imagine en arpentant le premier couloir de l’exposition. Soit, il est lui-même un monstre dans une mise en scène glauque de film d’horreur. On voit des enfants torturant, tuant…

150-x-150SANS TITRE, 2014, Fusain et mine de plomb sur papier, 150 x 150 cm. Collection privée, France

Zonder parle t-il d’une innocence corrompue? Ces enfants ont l’air de n’avoir jamais été innocents. On dirait plutôt des monstres qui utilisent le masque de l’enfance.

Je dirais qu’il y a dans cette manipulation de l’image de l’enfant une perversion de la part de Zonder. L’enfant est certes un adulte en devenir et comme le suggère Zonder, un être capable des pires atrocités (comme du meilleur aussi). Mais l’enfant n’est pas encore un adulte. La différence fondamentale entre l’enfant et l’adulte, c’est que l’enfant est irresponsable, il ne sait pas, il est vulnérable, dépendant des adultes. Il croit.

Utilise t-il l’enfant pour provoquer plus surement chez le spectateur un choc mental ? Veut-il faire comprendre par ce choc ce qu’est le génocide. Comme si évoquer la Shoah ne suffisait pas à faire prendre l’ampleur de l’horreur de celle-ci.

Je dirais qu’il y a ici une confusion dans le propos. Une facilité d’aller vers la perversion, vers le sensationnel, l’image qui choque. Comme si le spectateur avait toujours besoin de plus de sensationnel pour réagir. L’image de l’horreur méduse. Et les grands médias en savent quelque chose. Selon moi, cela détourne le spectateur de la vraie réflexion qui, elle, est profonde et belle. À savoir une réflexion sur la structure du mal, son essence.

Dalila Dalléas Bouzar

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Jérôme Zonder

FATUM

Maison Rouge, Paris

Du 19 février au 10 mai 2015.

 + Plus d’informations / http://www.lamaisonrouge.org/fr/

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